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La Valkyrie

Prologue


C’est l’histoire d’un coup de balai.

Un coup de balai dans la mer. Un coup de balai dans le passé…

C’est surtout l’histoire des conséquences de ce coup de balai. La poussière soulevée, les scories du passé remises au grand jour, qui viennent bousculer le présent et s’inviter dans l’avenir.

Avant d’aborder notre récit, examinons ce coup de balai dans la mer qui a tout déclenché. Des faits authentiques, qui méritent d’être rapportés en détail dans ce prologue.

Tout commença en baie de Seine à bord de la « Clio », en janvier 1978. Sur ce chasseur de mines, on explorait les fonds marins avec un équipement dont le nom breton, skubermor, signifie « balayeur des mers ».

Au centre des opérations, point névralgique vers où convergeaient toutes les informations, l’officier de quart était aux premières loges pour suivre tous les détails de la recherche. Depuis le début de la semaine, la trace des déplacements du navire quadrillait toute une zone en lignes régulières. A petite vitesse, minutieusement, on scrutait le fond de la mer. Comme des lampes torches éclairant un chemin dans la nuit, les sonars montraient sur l’avant une petite portion de terrain. Le moindre objet posé sur le sol apparaissait autant par sa minuscule silhouette brillante que par l’ombre disproportionnée qui se profilait derrière.

Deux larges écrans focalisaient l’attention de tous dans l’obscurité de la pièce. Sur chacun d’eux, une petite bande lumineuse défilait lentement, de haut en bas, figurant ce chemin devant le chasseur de mines. Dans la myriade de points plus ou moins contrastés, l’œil habitué finissait par reconnaître du sable, des rochers, des algues, des dunes, et tous les débris que le fond de la mer peut recueillir.

L’objectif, c’étaient les mines sous-marines, ces engins qu’un ennemi dépose pour les faire exploser au passage d’un navire afin de le couler. Des vestiges de la dernière guerre, des monstres de plusieurs centaines de kilos d’explosif encore capables de causer de graves dommages. Les forts courants de la Manche ensablaient et désensablaient de temps en temps ces mines d’une manière imprévisible, si bien que ce travail restait nécessaire plus de trente ans après la fin d’un conflit au cours duquel elles avaient été mouillées là par milliers. Des navires de plus en plus nombreux croisaient dans ces eaux, des porte-conteneurs venant au Havre, des pétroliers au terminal d’Antifer. Le choc d’une ancre aurait suffi à déclencher une déflagration dévastatrice.

Dans ce minutieux travail de dépollution, chaque objet était ainsi répertorié et sa position précisément reportée sur la carte. Dès que l’un d’entre eux avait des caractéristiques pouvant ressembler à celles d’une mine, le bâtiment s’arrêtait pour une investigation visuelle. Suivant les conditions, c’étaient des plongeurs qui s’en chargeaient, ou bien un robot muni d’une caméra.

Les visages seulement éclairés par les écrans des sonars et de la table à cartes étaient à la fois concentrés et sereins. Chacun assurait sa tâche de veille méthodiquement, sans impatience, conscient d’être dans son rôle un rouage unique et indispensable de l’ensemble. Le ronronnement régulier des moteurs, loin dans les fonds, ne gênait personne. Il faisait partie du décor, rassurant comme les battements de cœur du navire. Le léger roulis, donnant à tous la même oscillation du torse, contribuait à renforcer la perception du lien physique d’un équipage. Dans cette ambiance attentive, monacale, les seules paroles étaient des annonces brèves, dans leur jargon dépouillé.

Lorsque l’un des opérateurs dit d’un ton égal

- Echo « det », 350 yards !

l’officier se contenta de jeter un œil sur son écran.

Suivant la procédure, l’opérateur transmit quelques secondes plus tard à son voisin la position de l’objet. Celui-ci vit alors apparaître sur son écran une image plus fine, mieux résolue. C’est là que les choses devenaient plus intéressantes car son sonar, que l’on appelait « classificateur », était celui sur lequel on devait déterminer si l’objet nécessiterait ou non une identification visuelle. Le temps mis pour examiner l’écran fut un premier indice que l’objet n’était pas un rocher et méritait l’attention. L’opérateur confirma très vite cette impression en annonçant :

- Mine possible, 250 yards.

L’officier de quart réagit instantanément par une succession d’ordres manœuvrant le chasseur de mines afin qu’il amorçât un contournement de l’objet. Comme le sonar ne donnait que la silhouette de l’objet, le seul moyen pour s’assurer de la forme géométrique de celui-ci et de ses dimensions était de faire varier l’angle sous lequel on le voyait. L’affaire se compliquait avec la nécessité de rester à une bonne distance de sécurité de ce qui pouvait être une mine extrêmement dangereuse, tout en composant avec le vent et le courant. Un sport d’adresse, où il fallait être attentif à tous les signes et anticiper l’évolution du bâtiment.

Tandis que, sur l’écran, l’ombre dessinait une forme trapézoïdale de plus en plus cohérente, on sentait la fièvre monter dans l’équipe. Le chasseur de mines flairait son gibier. A force de tourner, le trapèze finit par devenir un rectangle. Dans cette position où l’objet de forme oblongue était vu par le travers, le point brillant à la base de l’écho s’élargit jusqu’aux limites de l’écran. L’opérateur sonar lança comme un cri de victoire :

- Il flashe ! Classifié : « LMB » !

Reconnaissant le type de mines le plus couramment rencontrées dans la région, une mine allemande de 500 kilos, il énonçait son pronostic avec assurance.

L’officier prit son micro :

- Se préparer pour une intervention plongeurs, profondeur trente-huit mètres !

On entendit des pas précipités, toute l’agitation d’une opération où il n’y avait pas de temps à perdre. Moins de cinq minutes plus tard, un zodiac avait été mis à l’eau avec deux plongeurs et deux équipiers qui commencèrent par mouiller un balisage près de l’objet détecté. Les plongeurs purent alors intervenir, et il fallut attendre une dizaine de minutes avant d’entendre l’un d’entre eux rendre compte par radio:

- C’est une LMB, à une dizaine de mètres d’un petit rocher.

Très vite, le commandant prit la décision de procéder à une destruction de la mine, ce qu’ils appelaient dans leur jargon un « pétardement ».

Celui-ci suivait une procédure très détaillée où rien n’était laissé au hasard. Au moment de préparer leur équipement, les plongeurs démineurs y incorporèrent les artifices dont ils auraient besoin : un pain d’explosif « plastic », gros comme une motte de beurre, que l’un d’eux glissa contre son ventre sous sa combinaison, et une paire de détonateurs qu’il enfila dans sa manche. Ils embarquèrent dans le zodiac une bobine de fil électrique qu’ils dérouleraient avec eux pendant la descente. La mise à feu serait provoquée par une petite dynamo dont la poignée de commande, amovible, restait accrochée autour du cou du patron de l’embarcation. On n’est jamais trop prudent.


Lorsque le zodiac atteignit les bouées de balisage, et que l’ordre fut donné, les deux plongeurs basculèrent en arrière pour se retrouver tête en bas, déjà dans la bonne direction pour suivre l’orin qui devait les guider vers la mine. Habitués à plonger plusieurs fois par semaine en Manche, même en hiver, le froid ne les saisit qu’un court instant, et ils s’appliquèrent à palmer vigoureusement pour accélérer la descente. Les choses se passaient très simplement. Toujours sûrs dans leurs réactions, ils n’avaient pas besoin qu’on leur explique ce qu’il fallait faire. Ce fut presque machinalement qu’ils effectuèrent toutes les tâches nécessaires : l’amarrage de la ligne électrique à la gueuse et la pose de la charge d’explosif contre la mine, avec des gestes lents, discrétion acoustique oblige. Tandis que l’un deux enfonça les détonateurs dans le « plastic », le contrôle par son binôme lui garantissait que rien n’était oublié. Ils vérifièrent ensuite les épissures reliant les détonateurs au câble électrique, et le seul regard qu’ils échangèrent fut celui qui accompagna leur signe de la main. Le rond formé par le pouce et l’index se traduit dans la langue des plongeurs du monde entier par « OK ». Immédiatement, le pouce pointant vers la surface donna l’ordre de remonter.

Contrairement à la descente, et malgré l’urgence de l’opération, leur retour se fit lentement, sans précipitation. Ils savaient que le plus grand danger de la plongée est celui d’un accident de décompression dû à une remontée trop rapide. C’est le moment qu’ils préféraient tous dans ces plongées en opérations. Celui de la tâche accomplie sans anicroche. La lente ascension au milieu d’une multitude de petites bulles donnait une impression d’apesanteur.

Après un court palier à trois mètres, ils remontèrent dans le zodiac, et, déjà, les équipiers s’activaient pour dérouler la ligne électrique. Il fallait s’éloigner à une distance de sécurité avant de pétarder la mine.

La « Clio », pendant ce temps, avait reculé pour se tenir à plusieurs centaines de mètres. Sa coque et ses équipements étaient spécialement conçus pour résister aux chocs, mais on veillait à réduire encore le risque d’avaries, même mineures.

Au moment du déclenchement de l’explosion, un formidable grondement, sec et sourd, se fit entendre sous le zodiac. Aussitôt, surgit devant eux comme un dôme qui souleva l’eau de quelques mètres sur une large surface, hérissée de petites pointes blanches. Ils ne purent retenir une exclamation lorsqu’ils virent alors jaillir avec une vitesse fulgurante une gerbe immense, haute comme un immeuble de six étages. Pendant un court instant, l’énorme pétale blanc et gris, où l’eau et la poudre se mêlaient, et les nombreux lobes qui l’entouraient, semblèrent se figer dans le ciel, presque au-dessus de leurs têtes, avant de retomber comme une pluie épaisse.

Après un pétardement, la procédure prévoyait toujours une plongée de vérification, pour s’assurer que l’engin avait bien été entièrement détruit. Au retour des plongeurs, quelle ne fut pas la surprise de tous en les entendant rendre compte, tout ruisselants sur la plage arrière :

- L’explosion a dégagé une partie de ce qu’on prenait pour un petit rocher. Ça ressemble à un vieux moteur. Des débris sont éparpillés un peu partout, des cordages, des filins et même un morceau de filet. On dirait un bateau de pêche. En bois, car nous avons vu une planche à moitié ensablée. Sans doute une partie de pavois ou de tableau arrière, car il y a des lettres écrites dessus.

- Ah bon ? Quelles lettres ? demanda le commandant.

- Oh, ça ne dit pas grand-chose ! J’ai vu un « A », un « L » et un « K ». Oui, c’est ça : « ALK ». Mais ce qui est avant et après est masqué par le sable. Avec l’enchevêtrement de débris, on n’a pas pu s’approcher pour déblayer.

- Avant le « A », il y a une autre lettre, ajouta le deuxième plongeur. J’ai vu un trait en oblique, comme le coin d’un « V » ou d’un « W », dit l’autre plongeur. Ce qui ferait « WALK… »

- Ce serait plutôt un Anglais, alors, quelque chose comme « walker », ou « Johnny Walker », suggéra le bosco avec un clin d’œil ; dans ce cas, il faudrait vite y retourner pour vérifier la cargaison !

Leur mission n’étant pas de piller les épaves, même pour du whisky trente ans d’âge, le commandant se contenta de féliciter tout le monde et ils reprirent leur tâche de balayeurs des mers.


Seule suite donnée alors à cette découverte : on remplit pour l’état-major une fiche de renseignements, indiquant les dimensions et la position d’une nouvelle épave, jusque là ignorée.

Le service hydrographique ajouterait bientôt sur les cartes le petit symbole d’une « épave qui n’est pas dangereuse pour la navigation ». Une de plus sur le fond de cette Manche qui en comptait déjà tant, après des siècles de guerres et de coups de tabac.



Première partie

La légende de Fernand


I

  

- A la Valkyrie !

Du bar, Guillaume entendit le toast. Sur la terrasse, face à la mer, des verres se levaient. Un groupe joyeux, festoyant en cette fin d’après-midi, c’était l’ambiance de l’été. L’été qui s’approchait, avec ses rêves d’aventures. La bonne humeur semblait irriguer tous les visages dans la grande salle du café, comme par contagion, comme si tous participaient à la réjouissance.

On n’entendait que des rires, et ce seul mot ne voulait rien dire. Chez Guillaume, il éveilla tout un cortège de souvenirs et d’émotions. Les valkyries avaient peuplé toute son enfance. Elles l’avaient bercé puis fasciné, captivé, dans les chansons et les contes que sa mère lui avait répétés des centaines de fois. Il connaissait par cœur les légendes du Valhalla et des guerrières montées sur des loups. Leurs sortilèges, leurs fabuleux combats, leurs pouvoirs magiques, leurs incroyables transformations et leurs qualités surhumaines. Mi-fées, mi-déesses, elles l’avaient tour à tour enchanté ou effrayé dans les albums de son enfance.


Des récits fantastiques, des pages richement décorées de drakkars et de chevaux ailés qui l’avaient emporté des journées entières.

Adolescent, il n’aimait rien de plus que de s’immerger dans les épopées scandinaves, assis au pied de la bibliothèque, un trésor que sa mère avait hérité de son propre père. Une magnifique collection que Guillaume avait feuilletée, lue, relue, et qui était devenue le cadre de son imaginaire. Son grand-père, qu’il n’avait pas connu, apparaissait en filigrane à travers de nombreux personnages et faisait partie, dans les fantasmes de Guillaume, de cette mythologie. Combien de fois, en rêve, ne l’avait-il pas vu accourir, au milieu des plus grands dangers, et sauver in extremis une situation désespérée. Il se voyait ainsi, inconsciemment, cousiner avec les valkyries, dont une comptine énumérait les noms aux rudes consonances nordiques : Sigrun, Brynhilde, Ölrin, Svafa, Thud, … Enfant, il ne pouvait pas voir passer un corbeau sans penser que c’était peut-être l’une d’elles qui s’amusait à venir le voir.

A trente-quatre ans, tous ces mythes étaient bien loin dans le passé, et leur évocation avait le goût à la fois tendre et triste de la nostalgie. Les petites bulles qui remontaient du fond de son bock de bière blanche apparaissaient à la surface sans parvenir à éclater. Le passé pouvait revenir, il restait le passé.

Guillaume avait conscience d’être resté trop longtemps collé à son enfance, à sa mère. « Jaja », comme il l’appelait affectueusement de temps en temps, aurait voulu le garder chez elle ad vitam. Il avait dû, à vingt-neuf ans, presque s’évader pour quitter le petit appartement du Havre et s’installer à son propre compte. Pas trop loin quand même, à quelques centaines de mètres de chez elle, à Sainte-Adresse. Cela faisait alors près de dix ans qu’il travaillait, gagnait sa vie, et aspirait à prendre son indépendance. Le chantage affectif avait eu jusque là raison de chacune de ses tentatives. Sa mère avait été abandonnée par son mari avec ses deux enfants, alors que Guillaume n’avait pas un an. Elle n’avait pas connu son propre père, disparu lorsqu’elle était bébé. Elle avait trop souffert, et son fils se sentait incapable de lui infliger les tourments d’une nouvelle séparation. D’autant plus que sa sœur, d’un an son aînée, n’avait pas hésité, elle, à quitter Le Havre pour Paris à l’âge de vingt ans. Elle n’avait pas fui sa mère, mais suivi l’amour, un motif puissant et incontestable. On la voyait de temps en temps, avec ses deux enfants, une consolation qui atténuait un peu ce qui restait de culpabilité chez Guillaume.

En finissant sa bière, il eut un élan de tendresse en pensant au déjeuner du lendemain qu’il irait partager avec sa mère comme tous les dimanches. Un rituel auquel il n’avait jamais dérogé depuis cinq ans. Les yeux perdus dans le lointain, suivant un énorme porte-conteneurs qui sortait des passes, il savourait la douceur des beaux jours revenus. L’été, avec son afflux de vacanciers et ses perspectives de rencontres, transformait complètement Sainte-Adresse. Tout changeait de couleur lorsque les rues se remplissaient, on se sentait moins seul.

Avec les femmes, Guillaume était un peu trop idéaliste. Il avait pour lui des atouts que plusieurs liaisons avaient démontrés. Un physique avenant, des traits réguliers et fins contrastant avec des mains charpentées et puissantes. Assez grosses, aimait-il préciser, pour contenir une partie de son cerveau. Manière de souligner que l’habileté manuelle était son point fort. Mécanicien de formation, on faisait appel à lui, dans le chantier de réparation navale où il travaillait, pour tous les montages les plus délicats. Plusieurs fois, il avait cru trouver la femme de sa vie, mais cela n’avait pas marché. Il était incapable de dépasser le stade de l’aventure exaltante sans conséquences et sans fin.


Dès que se profilait la perspective de faire des projets durables, il se mettait à fantasmer sur des qualités que son amie du moment n’avait jamais. Le soufflé retombait, et Guillaume repartait à la recherche d’un nouveau rêve.

Traversant la terrasse pour sortir du bar, il tomba nez-à-nez, à la table qui trinquait joyeusement, avec un vieux camarade de lycée. La figure ronde et joviale de Laurent, dont des débuts de golfes commençaient à élargir le front, restait, d’année en année, de celles qu’il avait toujours plaisir à retrouver.

- Dis-donc, vous mettez de l’ambiance dans tout le troquet ! Qu’est-ce qui vous rend si gais, vous fêtez quelque chose ?

- Oui, mon vieux, notre premier succès. Tu as devant toi la brillante équipe fondatrice des « Archéologues palmés » : Jean-Claude, François et Marc. Assieds-toi, on va te raconter, c’est ma tournée !

- On a fait notre initiation à la plongée ensemble, ici, aux « Pieds palmés » il y a une quinzaine d’années, ajouta-t-il à l’adresse des autres. Sauf que lui, il n’a pas continué après le premier été.

- Je t’ai déjà expliqué, intervint Guillaume, je venais de démarrer mon boulot, et dans un chantier naval on est surchargé tout l’été.

Guillaume avait dû, surtout, céder à sa mère, que la plongée terrorisait ; mais cela, il ne pouvait pas le dire… Un renoncement qui lui avait beaucoup coûté à l’époque. Et l’enthousiasme des quatre amis remuait le couteau dans la plaie. Les regrets devaient se lire dans ses yeux car Laurent n’hésita pas à le relancer.

- Maintenant que tu as pris de la bouteille, ton patron doit bien te laisser un peu plus de temps libre, et si tu voulais reprendre, il n’y aurait aucune difficulté. La plongée, c’est comme le vélo, cela ne s’oublie pas. Tu vois, nous aussi, on bosse, et on plonge de temps en temps le week-end.

- Moi, j’ai deux heures de train pour venir de Paris, mais je ne pourrais pas m’en passer, intervint François, un solide gaillard aux yeux rieurs sous des cheveux en brosse.

- Et moi, deux heures de bagnole d’Amiens, surenchérit Jean-Claude, dont le physique, plutôt chétif, contrastait avec celui de son voisin.

Laurent expliqua qu’ils ne se contentaient plus de se balader sous l’eau. Ils s’étaient mis à explorer des épaves. Si bien que, dans le club des « Pieds palmés », on les appelait désormais les « Archéologues palmés ».

Jusque là, ils s’étaient juste entraînés sur des épaves bien connues du coin, mettant au point leurs méthodes d’exploration. Comment reconnaître de quel bateau il s’agissait, mesurer, repérer les différentes parties, prélever des indices, bref, tout ce qui permettait de reconstituer un plan et de faire un dossier.

- C’est tout une technique, passionnante, et on s’est documentés sur ce travail, précisa Marc, le plus âgé du groupe, resté silencieux jusque-là. On commence par des recherches dans les archives et les données fournies par le service hydrographique. On plonge d’abord dans les papiers, quoi !

- C’est comme ça qu’on a appris l’existence d’une épave, au large d’Antifer, reprit Laurent. Elle n’est apparue sur les cartes qu’il y a une vingtaine d’années. On s’est renseignés pour avoir sa position exacte, et comme on est équipés d’un GPS, on a pu la retrouver.

- Enfin, pas immédiatement quand-même, intervint Marc. La position donnée par le service hydrographique datait d’avant l’existence du GPS, et il y avait un écart d’une bonne trentaine de mètres. Avec une visibilité de dix mètres à tout casser, on a commencé par ne rien voir. Il a fallu faire une recherche circulaire avant de l’apercevoir, au dernier moment !

- Comme on est quatre, on avait prévu de faire deux plongées en binômes. La deuxième équipe a pu l’observer de plus près. Un vieux bateau en bois, pas très grand, au bord d’une souille, avec le moteur bien concrétionné et des morceaux de ferraille éparpillés.

- Et on a pu l’identifier, car il y avait un nom sur ce qui a l’air d’être le tableau arrière. On a dû dégager un peu de sable pour le lire en entier : « Valkyrie ».

Le mot réveilla une nouvelle fois les souvenirs de Guillaume. L’évocation fugitive suscita soudain une envie d’épopée, de participer à cette aventure. Les plans de recherche que les quatre amis échangeaient avec passion ne résonnaient plus de la même manière à ses oreilles. Il aurait aimé en être.

- Nous allons faire des recherches dans les archives des ports, sur toute la côte, ici et aussi en face, en Angleterre, reprit Marc. On finira bien par trouver d’où elle vient, cette Valkyrie. Dès qu’on aura développé les photos qu’on a prises, on pourra enquêter.

- Grâce au moteur, on sait déjà que ce bateau est du vingtième siècle. On en est à peu près sûrs, c’est un moteur de forme assez récente, moins de soixante-dix ans. Donc, ce bateau a forcément sa photo quelque part dans un port. Avec un peu de chance, on pourra reconnaître au moins le tableau arrière.

- Il y aurait un moyen d’aller encore plus vite, intervint Jean-Claude. Vous vous souvenez, quand on a décidé de se lancer dans l’archéologie sous-marine, au club plusieurs personnes ont dit que ce serait une bonne chose pour l’image des « Pieds palmés ». Que trouver une épave, cela intéresserait la presse, et que cela ferait parler du club. C’est le moment, appelons Paris Normandie ou Ouest-France dès qu’on aura la photo, et racontons-leur notre découverte !

- Très bonne idée ! ajouta Marc, les journalistes vont adorer : une épave avec tous les mystères d’un naufrage… Cela va susciter de la curiosité chez les gens, et, qui sait, provoquer des réactions ? Avec un peu de chance, des lecteurs réagiront si ce nom leur dit quelque chose. On a tout à gagner à faire connaître notre découverte.

- On va la faire parler, cette épave !

...

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